La cigale reprend sa respiration. Écoute. Immobile. L’espace sonore à l’abandon vibre sous la danse muette des sauterelles brunies, caméléons paille et terre brûlée.
Vos pas craquent sur l’herbe morte d’où éruptent mille et un insectes. Un monde d’invisibles à la recherche de la moindre parcelle d’ombre et d’eau.
L’eau qui n’est pas tombée de là-haut depuis, ô combien, une vie ? Ils font avec. Ils font sans. Trichent, épargnent chaque gouttelette de rosée, puis la partagent en deux, en cent, entre eux, les auxiliaires, les fourmis, les vers, les chenilles et papillons. Entre elles aussi, les tiges des rares plantes encore vertes, engoncées dans des carapaces velues aux feuilles microscopiques, étroites ou recroquevillées.
Sous vos semelles, le thym, la sarriette et le calament exhalent leur parfum en réaction à votre agression involontaire. Camouflées au milieu du fol-avoine, du millepertuis, du plantain, elles se font discrètes.
Vous franchissez le portillon du potager. Le ballet des petits êtres invisibles s’accélère. Vous les entendez jaillir à votre approche, sauter d’un végétal à l’autre.
Ici, c’est la lutte constante. La mise en place de stratégies de combat. Les racines s’allongent loin, profond, là où miroite une vague promesse d’eau. Les larges feuilles des légumes, héritage de leurs pays d’origine pluvieux, se replient, se tassent, s’enroulent comme le Touareg se drape dans sa takakat et se coiffe de son chèche. Stratégie.
Le soir, très tard, lorsque les insectes diurnes laissent s’exprimer les enfants de la lune, quand les températures deviennent enfin clémentes, vous ne les avez peut-être pas vues, mais ces mêmes feuilles s’ouvrent alors en immenses attrape-pluie. Majestueuses, vertes, si vertes. Elles captent goulûment toute l’humidité de la nuit, emmagasinent chaque particule en prévision de la rudesse du prochain jour.
La cigale n’en a cure. Elle vit à son rythme propre, perchée dans les oliviers, les micocouliers ou les chênes qui bordent le jardin. Elle gonfle son abdomen vide et calque le vibrato de sa timbale sur le souffle brûlant de midi.
Kss-kss-kss.
C’est l’été en Provence.
Un texte de mon amie Alice de Castellanè . Merci à elle !